Qui donc connaît les flux et reflux réciproques
de l'infiniment grand et de l'infiniment petit,
le retentissement des causes dans les précipices de l'être,
et les avalanches de la création ?
(Victor Hugo, Les Misérables)

mercredi 14 mai 2014

Marc Lachieze-Rey : du Temps à l'Espace-Temps

Ce Lundi 5 mai, l' AEIS, lors de sa réunion mensuelle, recevait l'astrophysicien Marc Lachieze-Rey. Pour l'écouter sur un thème sur lequel il a beaucoup travaillé : celui du Temps.

Le Temps : il s'écoule, et nous entraîne. On le mesure. La mesure du Temps est actuellement une des plus précises qui soit. L'évolution de cette précision est proprement fantastique, comme le rapporte un texte récent (Christophe Salomon, IHP, 2010) : Au XVII siècle, les meilleures horloges pouvaient présenter un décalage de l'ordre de 10 secondes par jour ; au début du siècle actuel, le décalage d'une horloge "optique", pour la même durée d'un jour est de l'ordre de la picoseconde, soit un millième de milliardième de seconde. Mais que mesure t-on exactement

L'idée que l'on peut avoir du Temps varie selon les disciplines. L'exposé du conférencier (ci-après désigné par M. L-R) concerne la conception du Temps vu de la Physique et les grandes ruptures qui ont marqué son histoire. Mais la connaissance des changements majeurs que ces ruptures ont provoqués doit-elle rester réservée au cercle des physiciens concernés, essentiellement ceux de l'infiniment petit et de l'infiniment grand ? C'est une des questions sous-jacentes de cet exposé passionnant et qui a ressurgi dans la discussion.

Dans son introduction, M. L-R a posé les termes de la thèse qu'il allait développer :
  • le Temps, comme concept de la Physique, est apparu avec Newton, il a disparu avec Einstein.
  • les propriétés associées à ce concept n'ont cependant pas toutes disparues dans cette révolution. 
Une riche discussion a eu lieu, dont je regrouperai les éléments en quatre chapitres :
  • La notion d'évènement
  • Physique et Géométrie
  • Irréversibilité, flèche du Temps, statut du temps cosmique
  • Espace-Temps hors de la Physique.
Dans l'esprit général de ce Blog, ce résumé s'adresse aussi à ceux qui, parmi mes proches, s'intéressent à ces sujets. C'est pourquoi je ne me limite pas strictement aux seuls propos tenus lors de la réunion de l'AEIS et j'ai sur certains points essayé de donner quelques arrière-plans. Dans ce résumé "augmenté",  je me suis appuyé notamment sur deux ouvrages qui ont beaucoup de points communs à la fois dans le public qu'ils visent et dans leur propos : 
  • Marc Lachièze-Rey, Au delà de l'Espace et du Temps. La nouvelle physique. Editions Le Pommier 2008
  • Roger Penrose, A la découverte des Lois de l'Univers, La prodigieuse histoire des mathématiques et de la physique. Editions Odile Jacob Sciences, 2004.




Le Temps ? Si personne me le demande, je le sais. Si on me le demande et que je veux l'expliquer, je ne sais plus. Cette citation est extraite du livre XI des Confessions de Saint Augustin. Un texte magnifiquement mis en scène récemment au Théâtre National de Chaillot par Daniel Guenoun.

Deux remarques illustrent cette dualité :
  • Aucun auteur n'a pu donner - selon M. L-R - une définition du temps qui rende compte de la totalité de ses propriétés
  • Et pourtant notre langage est imprégné de notions temporelles ; référence à la conjugaison des verbes, au passé, au présent et au futur. Il n'y a pas de mode verbal, qui indiquerait par exemple - j'imagine - le fait d'être une partie prenante de l'Univers pendant une certaine durée, sans aucune autre connotation temporelle. Cette imprégnation nous oblige à penser d'une certaine façon, et c'est parfois gênant, quand justement il faudrait penser autrement.

Le Temps chez Newton


Le Temps s'écoule uniformément. Derrière cette formule, on trouve une conception du Temps et de ses rapports à l'Espace, à la base de l'essor de la Physique pendant les trois siècles qui allaient suivre ; mais aussi conforme, pour une certaine part, à l'expérience quotidienne. 

Mathématiquement, l'Espace-Temps Newtonien est le produit ("produit cartésien") de l'espace euclidien à trois dimensions et de l'ensemble des nombres réels, ce dernier figurant la ligne du Temps. J'aime bien la métaphore donnée par Roger Penrose dans son livre " A la découverte des Lois de l'Univers " au chapitre 17 : celle du film projeté sur un écran de cinéma. L'écran y figure l'Espace, ici en deux dimensions seulement, un ensemble de points bien identifiés, qui existent indépendamment du film projeté et des actions qui vont s'y dérouler. La succession - l'ordre - des images sur la pellicule y figure le temps. A chaque évènement - l'apparition d'un personnage, le début d'une scène d'amour - peut être associé sans ambiguïté un nombre, savoir le rang de la première image concernée.

 Propriétés du temps Newtonien


Les propriétés du temps Newtonien sont toutes reliées à l'axiome suivant : tout évènement a une date unique, savoir un nombre réel. Date, qui peut être vue aussi comme un point sur une droite. J'insisterai ici sur ce terme d'axiome, bien qu'il n'ait pas été prononcé me semble t-il par le conférencier : axiome, savoir dans ce contexte un énoncé formalisant notre expérience du temps, posé à priori et indépendant des procédures effectives de datation. Accrochées à cet axiome, viennent alors les définitions et propositions suivantes : 
  • définition de l'ordre chronologique : c'est l'ordre total induit par les dates sur l'ensemble des évènements, avec des relations d'antériorité (ou de postériorité) et de simultanéité. Si A et B sont deux évènements quelconque, seuls trois cas sont possibles : A précède B ; B précède A ; A et B sont simultanés. Un énoncé qui peut paraître évident, nous verrons qu'il n'en est rien.
  • définition de la durée entre un évènement A et un événement B, simultané ou postérieur à A : différence entre la date de B et celle de A. La durée est donc vue comme indépendante de ce qui se passe entre A et B. Par exemple, si A est le début d'un voyage, et B la fin, la durée du voyage ainsi définie est la même, quels que soient le parcours suivi et la vitesse de ce parcours.
  • proposition sur les relations de causalité : un évènement A peut être une cause possible d'un évènement B, si et  seulement si,  il  n'est pas postérieur à B. 
 Une discussion s'est brièvement ouverte à cet instant de l'exposé sur la notion d'évènement ; j'en reprendrai les composantes dans le prochain billet.


Incidente : Autour des mouvements uniformes et mouvements libres


M. L-R rappelle l'intérêt - pour le sujet qui nous occupe - de cette branche de la Mécanique appelée Cinématique. L'étude des mouvements libres - c.a.d. mouvements de corps non soumis à une force - est au coeur des rapports entre l'Espace et le Temps.

Cette notion de mouvement libre de toute force apparaît explicitement dans le premier principe de Newton affirmant " Tout corps persévère dans l'état de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite, à moins que quelque force n'agisse sur lui... " La notion de mouvement uniforme était déjà bien là, notamment avec Galilée, mort en 1642, un an avant la naissance de Newton.

Petit retour à Galilée...



Une idée fonde à l'époque ce qu'on appelle aujourd'hui la Relativité Galiléenne : les lois de la mécanique sont les mêmes dans tout système animé d'un mouvement uniforme. Un observateur lié à ce système n'a aucun moyen, en étudiant le mouvement des objets qui en font partie, d'évaluer la rapidité du mouvement, et même d'en reconnaitre l'existence. J'emprunte à nouveau à R. Penrose, ouvr. cit. p. 374 et suivantes. Galilée, dans son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde décrivait, à l'appui de son dire, ce que nous appelons aujourd'hui une "expérience de pensée". Il prenait comme exemple (approché !) d'un système en mouvement uniforme "une grande cabine sous le pont d'un grand navire" voguant en droite ligne à une vitesse constante ; il observait le comportement des papillons et des gouttelettes d'eau, identique en tout point à celui qu'on constaterait sur la terre ferme, nonobstant le déplacement du bateau. A l'heure actuelle, nous ferions plutôt référence à un train ou un avion se déplaçant en droite ligne à une vitesse constante, voire à un vaisseau spatial courant sur son aire, loin de tout astre.

Espace-Temps Galiléen, Espace-Temps Newtonien


Le principe de Relativité Galiléenne suggère qu'on est toujours en mouvement par rapport à quelqu'un, qu'il n'existe pas d'état de repos ni d'Espace absolu ; autrement dit, L'Espace ne peut être considéré comme une réalité quasi matérielle, tel l'écran pendant la projection du film ; si tel en effet était le cas, les positions de cet Espace fourniraient une référence pour distinguer Repos et Mouvement ; dans un tel Monde, les physiciens finiraient bien par trouver le moyen pratique d'utiliser cette référence, par des expériences de mécanique - donc portant sur les forces et leurs effets - mettant en évidence la distinction.

Cette conclusion s'exprime mathématiquement. L'Espace-Temps Galiléen n'est pas un produit cartésien : savoir, dans ce contexte, une structure associant, à tout évènement, une date sur un axe temporel et une position dans un espace à trois dimensions, lequel serait fixé une fois pour toute. Mais l'Espace-Temps devient conforme à une telle structure, il devient donc "Newtonien", par la  "décision" d'un observateur, choisissant - par convention pratique et révisable - de considérer comme au repos les positions de certains objets ou évènements. Ainsi, dans le système de coordonnées écliptiques par exemple, considère-t-on comme au repos la position d'un objet, savoir le soleil, et aussi la position d'un évènement, savoir l'équinoxe de printemps sur la terre lors d'une certaine année de référence.

Et l'histoire se poursuit.


La réflexion autour des mouvements uniformes, des mouvements libres et de leur relation a ainsi présidé à la naissance de la Physique moderne. Et c'est la poursuite de la réflexion sur les mêmes thèmes qui a déclenché la seconde révolution, celle des Relativités Restreinte et Générale :
  •  Les physiciens ont un moment espéré que des expériences hors du cadre de la mécanique - par exemple en électromagnétisme - pourraient faire émerger, malgré tout, la distinction  Repos/ Mouvement Uniforme ; et parvenir, par exemple, à mesurer la vitesse absolue de la Terre dans l'espace. Cet espoir s'est révélé vain : son démenti est à la racine de la Relativité Restreinte
  • A priori, la chute libre d'un corps, sous l'effet de l'attraction terrestre, n'est pas un mouvement libre, puisque le corps est soumis à une force, la force de gravitation. Et d'ailleurs ce mouvement n'est pas uniforme, mais au contraire accéléré. Le changement de point de vue apporté par la Relativité Générale, c'est que la gravitation n'est pas une force. C'est seulement une courbure de l'Espace-Temps, créée par le corps attirant, et contraignant de la même façon le mouvement de tout corps attiré. Les mouvement de ces derniers restent alors bien des mouvements libres. 

Le Temps après Einstein

 

Je reprends maintenant le cours de l'exposé. M. L-R. veut nous faire comprendre l'importance du saut conceptuel entre l'Espace-Temps d'avant, celui de Newton, et l'Espace-Temps d'Einstein. Face à cet objectif, les différences entre les deux Relativités, Restreinte et Générale, sont mineures et seront largement laissées de coté.

Pas de datation absolue.


Après Einstein, l'énoncé fondamental est en effet la négation de l'axiome de Newton sur la datation unique des évènements. Cet énoncé affirme en effet - je cite M.L-R - qu'il est impossible de donner une date à un évènement. 

Cette affirmation peut paraître brutale, et mérite quelques développements.  M. L-R précise donc : Pour un évènement donné, une certaine procédure de datation peut toujours être appliquée ; elle conduira effectivement à dater cet évènement. C'est bien une pratique courante et utile. Cette procédure donnera cependant des résultats différents pour deux observateurs distincts ; ce, dès lors qu'ils ne sont pas immobiles l'un par rapport à l'autre et au même endroit (c'est sur ce point que s'introduit un écart entre Relativité Restreinte et Générale : la dernière exigence - le même endroit - n'est imposée que par la Relativité Générale).

Ce qui vient d'être dit n'est pas une vue de l'esprit, et a été mainte fois vérifié. On a du même en tenir compte dans les calculs à la base du fonctionnement des GPS. Deux horloges techniquement identiques, synchronisées au départ, puis placées l'une dans un laboratoire sur Terre et l'autre dans un satellite, se décaleront progressivement. Je cite la référence Web précédente : 1) du fait du mouvement du satellite par rapport au laboratoire, l'horloge du satellite retardera de quelques microsecondes par jour ; 2) du fait de l'altitude - gravitation plus faible - elle avancera de quelque dizaines de microsecondes pendant la même durée. L'effet de l'altitude l'emporte sur l'effet de la vitesse, et au final le temps du satellite s'écoule plus vite, on y vieillit plus rapidement. M. L-R note ainsi - si j'ai bien entendu - que l'on était même capable de mesurer le décalage - lié à la seule différence dans l'intensité de la gravitation - d'horloges situées à quelques mètres de distance.

La disparition de la possibilité de dater les évènements d'une façon absolue, affectent les propriétés qui nous étaient familières avec le Temps Newtonien : l'existence d'un ordre chronologique, son rapport à la causalité, l'évaluation des durées.

Il n'existe plus d'ordre chronologique universel


Mathématiquement, nous n'avons plus, sur l'ensemble des évènements, d'ordre total mais simplement un ordre partiel. Comme dans le cas Newtonien, cet ordre est en lien avec la causalité, mais de façon plus complexe. Pour préciser, considérons à nouveau deux évènements A et B. Les situations possibles vont se formuler ainsi, hors cas limites omis ici  pour ne pas surcharger :
  1. Dans une première situation, B est dans le futur de A - ou bien, proposition équivalente, A est dans le passé de B. La condition pour qu'il en soit ainsi est qu'un signal émis par A puisse parvenir à B. Sachant que les signaux les plus rapides sont ceux se propageant à la vitesse de la Lumière. Je suis conscient que l'énoncé de cette condition soulève quelques questions, mais acceptons le pour l'instant. Il revient à dire que A est une cause possible de B. Cette propriété (pour B d'être dans le futur de A) est intrinsèque, c.a.d indépendante des observateurs : tous les observateurs parviendront à la même conclusion. Dans leur temps particulier - leur horloge propre - ils placeront tous B postérieurement à A.
  2. Dans une seconde situation, A est dans le futur de B, où de façon équivalente, B est dans le passé de A : c'est la proposition symétrique de la précédente, elle ne fait qu'échanger les rôles des évènements. Les deux situations relèvent en fait d'une propriété commune, associée à la possibilité d'une relation causale dans un sens ou dans l'autre : le  lien entre A et B est dit du genre temps. 
  3. Une troisième situation, bien différente, inexistante dans le modèle Newtonien, est celle où aucun signal, même un photon, particule de Lumière, ne peut relier les deux évènements. Ils ne peuvent avoir en conséquence aucun lien causal. Il n'existe alors entre eux aucun ordre déterminé. Le lien entre A et B est alors dit du genre espace. Dans leur temps particulier, certains observateurs placeront A antérieurement à B, d'autres placeront A postérieurement à B, d'autres enfin les jugeront simultanés. 

 

Incidente : Autour de la notion de ligne d'univers

 

Pour mieux aborder la notion de durée telle qu'elle a été développée par M.L-R, essayons de préciser  ce qu'on entend par transmission d'un signal entre deux évènements A et B ? Cela m'amène à une notion courante dans les théories de la Relativité, celle de ligne d'univers.

Ligne d'univers des particules massives


Considérons une particule d'une certaine masse. L'ensemble des évènements formant la vie de cette particule constitue ce qui est appelé sa ligne d'univers. 

L'usage de l'expression ligne d'univers implique que l'ensemble des évènements composants est vu comme un objet géométrique, une suite continue de positions dans un certain espace, l'Espace-Temps, chaque position correspondant alors à un évènement de l'ensemble. De plus, c'est une suite orientée, avec un évènement initial, notons le I, associé à son apparition - sa création - et un évènement final F associé à sa disparition (annihilation, absorption). Cette orientation donne la direction du futur. On admettra que l'ordre des évènements d'une ligne d'univers donnée - ordre allant donc du passé vers le futur - est une propriété intrinsèque : tous les observateurs s'accordent sur cet ordre : pour tous notamment, quels qu'ils soient, F est dans le futur de I

La notion de ligne d'univers fournit la clé permettant d'affirmer qu'un évènement B est dans le futur d'un évènement A. B est dans le futur de A si l'existence d'une ligne d'univers "passant" par A puis par B est possible. Sa constatation effective - ou la vérification de sa possibilité - garantit en effet la possibilité d'un lien causal entre les deux évènements puisque qu'un élément matériel a été transmis - ou peut se transmettre - entre les deux évènements.

Terminons par trois remarques sur les difficultés des notions d'évènement et de ligne d'univers, pour y revenir dans la discussion.
  • Si l'expression géométrique "passer par" est assez intuitive, il me paraît cependant nécessaire de la traduire en terme d'associations entre évènements. Il apparaît alors quelques difficultés de vocabulaire. Je n'ai pas trouvé de mots traduisant le fait que deux évènements aient lieu en même temps dans un même endroit : coïncidence possède une connotation temporelle marquée ; cooccurrence a un emploi essentiellement linguistique ; rencontre est peut être plus adapté, mais garde une connotation dynamique gênante.
  • J'ai cru comprendre que M.L-R donnait à la notion d'évènement la nature d'une réalité première, plus fondamentale, première par rapport à la réalité d'une position dans l'Espace-Temps. Mais cela pose la question de la définition de ce qu'est un évènement.
  • On parle aussi de ligne d'univers pour un objet macroscopique, un être humain, un laboratoire, un vaisseau spatial. Quelles conditions doivent être remplies pour que cette notion garde une validité à ces échelles ?

Lignes d'univers des photons


Dans ce qui précède ont été considérées les lignes d'univers des particules massives, dont la vitesse est limitée, ne pouvant jamais dépasser ni même atteindre la vitesse de la lumière. Un grain de lumière, un photon, se déplace par contre à cette vitesse. Il participe lui aussi à définir une relation entre deux évènements, ne serait ce que la relation entre son apparition I - par exemple son émission par un atome - et F sa disparition - son absorption par un autre atome.  Le lien qui existe entre I et F est un cas limite : bien que ce lien accompagne la transmission de quelque chose - en l'occurrence le photon, il n'est pas du genre temps. En effet, dans la ligne d'univers du photon, I et F sont en quelque sorte simultanés : comme on va le dire plus loin, la durée propre séparant ces deux évènements est nulle . Il n'est pas non plus du genre espace, puisque il y a bien transmission et donc support d'un lien causal. On dit que ce lien limite est du genre lumière.

 Durées propres


Très souvent, dans les exposés sur la Relativité, on aborde la question de la durée en traitant d'abord de la dilatation du temps entre observateurs en mouvement uniforme les uns par rapports aux autres. M. L-R a choisi de nous parler directement des durées propres, et de la multiplicité de leur valeurs, différentes selon les lignes d'univers joignant les deux évènements. Ce, en continuité avec ce qui avait été dit à propos de la durée séparant deux évènements dans le cas Newtonien, savoir son indépendance par rapport aux processus se déroulant dans l'intervalle. Dans cet approche l'affaire des "Jumeaux de Langevin" est une bonne introduction.

Les jumeaux de Langevin


Dans le cas Newtonien, la durée entre deux évènements était on s'en souvient simplement la différence entre leurs deux dates, sur lesquelles tous les observateurs pouvaient s'accorder. Il ne peut plus en être ainsi dans le cas Einsteinien. Considérons d'abord deux évènements A et B supposés reliés par un lien du genre temps, avec B dans le futur de A. Et prenons un exemple bien connu - les Jumeaux de Langevin (voir not. le livre déjà cité du conférencier, Au delà de l'espace et du temps, pp 77-79). Le premier évènement est le départ - à partir d'une base terrestre - d'un personnage pour un voyage dans l'espace. Le second évènement est son retour, sur la même base. Ce personnage a emporté dans le vaisseau spatial une horloge semblable à celle utilisée sur la base. Qu'en est-il de l'évaluation de la durée du voyage ?
    1.  Pour évaluer cette durée, le voyageur va consulter son horloge : il fait la différence entre la date lue à l'arrivée et celle lue au départ, qu'il avait bien sûr notée !
    2.  Pour évaluer la durée du même voyage, les responsables de la base ont fait de même, mais avec l'horloge restée sur place
Eh bien les deux évaluations conduisent à des résultats différents !  et celle faite par les responsables de la base sera dans tous les cas supérieure à celle faite par le voyageur.


Durées propres et lignes d'univers

 

Les voyageurs de Langevin illustrent un état de fait général : entre deux évènements liés par un lien du genre temps, il existe une multiplicité de lignes d'univers. La ligne d'univers du laboratoire, la ligne d'univers du voyageur, et bien d'autres encore. En l'occurrence, une infinité de lignes. Et, pour chacune d'elles, une durée propre, mesurée par l'horloge censée être "emportée" par l'observateur ou liée à l'objet concerné. Mais point n'est besoin d'horloge, qui est simplement un instrument de mesure : la durée propre est une grandeur attachée à la ligne d'univers considérée. C'est une sorte de longueur, dans une géométrie particulière. Elle se calcule, comme toute longueur de courbe, par la somme de brins infinitésimaux, dont la longueur élémentaire est donnée par la métrique de l'Espace-Temps. 

Une autre façon de dire : les durées propres entre deux évènements sont les durées mesurées par les observateurs dont les lignes d'univers joignent ces évènements ; donc qui ont été au "rendez vous" des deux  évènements. 

La multiplicité des lignes d'univers entre A et B entraine ainsi une multiplicité de durées propres : parmi ces durées, il en existe nécessairement une qui se trouve être la plus grande. Cette durée maximale correspond à une ligne d'univers - peut être parfois à plusieurs - particulière. La théorie de la Relativité énonce que cette ligne particulière du durée maximale correspond à celle d'une particule - d'un objet, d'un observateur - se déplaçant dans un mouvement libre, donc non soumis à une force quelconque. Toutes les autres lignes vont être associées à des mouvements subissant une force exercée sur l'objet concerné, donc accélérés ou décélérés à un moment donné. 

Cette constatation éclaire ce qui a été dit précédemment à propos des voyageurs de Langevin. Le laboratoire, resté sur Terre, accompagne le mouvement libre de cette dernière (rappelons ici que dans la Relativité générale, la "force de gravitation" exercée par le Soleil sur la Terre n'est justement pas une force, juste une modification de la métrique). Le voyageur, au contraire, subit l'accélération de départ (poussée initiale des réacteurs), une décélération à l'arrivée, et, en cours de route, un changement de direction qui lui aussi sera provoqué par la mise en route d'un réacteur. La durée mesurée sur la Terre entre le départ et l'arrivée, durée propre d'un mouvement libre, est maximale et donc plus grande que celle du voyageur. 

 Le cas des photons.


Considérons enfin un cas non évoqué dans ce qui précède, où seuls étaient pris en compte des objets massifs :  cette fois celui de deux évènements dont le lien  relève  du est du genre lumière. La ligne d'univers pouvant les relier est celle d'un photon, un grain lumineux, sans masse. La durée propre entre ces deux évènements, mesurée en quelque sorte sur l'horloge du photon, est nulle. Mais le mouvement du photon est un mouvement libre : la valeur nulle est une durée maximale, la ligne d'univers joignant les deux évènements est alors unique, sauf cas particuliers (cas des lentilles gravitationnelles) ou pathologiques

  Pour terminer : nul n'entre ici s'il n'est géomètre


On l'aura compris, l'Espace-Temps  - la structure mathématique rendant compte de la façon dont peuvent s'organiser entre eux les évènements - n'est plus chez Einstein le produit cartésien d'un espace à trois dimension et d'un temps. Ce n'est même pas ce qu'on appelle en Géométrie un espace fibré, qui préserverait un axe temporel privilégié tout en abandonnant l'idée d'un espace comme réalité fixée une fois pour toute.  C'est une variété différentielle à quatre dimensions, structure géométrique complexe, mélangeant de façon intime coordonnées spatiales et temporelles, dont la métrique et les géodésiques - les lignes d'univers correspondant aux mouvements libres - fournissent la charpente. Pour mieux imaginer de telles structures, les représentations des cônes de lumière, c.a.d. les faisceaux des géodésiques passant par un évènement donné, sont très employées - cf par exemple les pages 389 à 396 du livre de R. Penrose déjà cité - et fournissent des représentations visuelles très parlantes.

Discussion


Comme déjà dit, la discussion après l'exposé de M.L-R a été riche. Les points sur lesquels elle a porté - notion d'évènement, physique et géométrie, flèche du temps et statut du temps cosmique, Espace-Temps hors de la Physique mérite quelques incidentes. Après réflexion je préfère les traiter dans le prochain billet plutôt que dans l'actuel, déjà dense.

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