Qui donc connaît les flux et reflux réciproques
de l'infiniment grand et de l'infiniment petit,
le retentissement des causes dans les précipices de l'être,
et les avalanches de la création ?
(Victor Hugo, Les Misérables)

dimanche 8 juin 2014

Rémy Lestienne et l'Emergence, I

Lors de sa réunion du 17 mai 2014, la commission Cosmologie de la SAF recevait Rémy Lestienne. pour l'écouter sur la notion d'émergence. Directeur de Recherche (actuellement émérite) au CNRS, Rémy Lestienne a été successivement physicien puis neuro-biologiste. A coté de publications spécialisées, il est l'auteur de plusieurs ouvrages dans lesquels les thèmes de l'émergence, mais aussi du temps - temps physique, temps biologique, temps subjectif - occupent une place importante.

La SAF a rendu l'exposé de Rémy Lestienne accessible sur la toile. Mon propos est ici, non pas d'en faire un résumé exhaustif, mais d'en reprendre quelques points essentiels, en essayant de clarifier certaines interrogations. Avant d'entrer dans le sujet, je veux souligner l'intérêt que j'ai pris à cet exposé, par les références qui ont été données et l'accent porté sur des questions touchant à la nature de la Science.

Une introduction sous l'angle de l'histoire des sciences


La manière dont Lestienne a commencé son exposé a pu surprendre. Il l'a placé en effet d'emblée dans le cadre d'un débat de philosophie des Sciences, en parlant de réductionnisme et d'émergentisme, en retraçant brièvement l'histoire de ces deux notions, et en annonçant un parti-pris clair en faveur de la seconde.

Et de décrire un mouvement de balancier, alternant les faveurs sur l'une puis sur l'autre de ces conceptions de la manière dont on peut parvenir à comprendre (partiellement) notre univers : Lestienne a évoqué brièvement Aristote et une certaine tendance émergentiste, et Descartes, clairement (?) réductionniste. Puis il s'est attardé sur le mouvement des idées au XXème siècle, pour affirmer que le regain de faveur de l'émergentisme tirait en partie son origine des avancées des sciences physiques, et se trouvait renforcé par les recherches sur l'apparition de la Vie et les sciences du cerveau. Ces trois domaines scientifiques ont ensuite structuré son exposé.

Bien sûr, cette introduction s'est accompagnée d'une définition générale de l'émergence, comme apparition soudaine - dans l'Univers - de qualités nouvelles,  de propriétés non attendues, voire non explicables. Mais peut-être que devant un public tel que le nôtre, passer un moment sur un exemple concret et simple eut pu mieux faire percevoir les enjeux du débat et permettre une meilleure discussion.

Le présent billet est centré sur la problématique de l’émergence en Physique, et sur ce que j’ai pu saisir de ses enjeux méthodologiques. Les autres domaines abordés par Lestienne feront l’objet du prochain billet.



L'émergence en  Physique


L'émergence, dans sa manifestation la plus simple, me semble être l'apparition d'une organisation au sein d'une collectivité d'entités en interactions. Il est utile de rapporter ici la définition figurant dans la version anglaise de l'article Emergence de Wikipédia. Je cite : "a process whereby larger entities, patterns and regularities arise through interactions amogn smaller or simpler entities that themselves do not exhibit such properties"

Modèles d'Ising

Un exemple élémentaire d'un tel contexte est fourni par les "modèles d'Ising", élaborés à l’origine  dans le cadre de l’étude du ferromagnétisme, mais utilisés dans bien d’autres cadres ; ils ont été l’occasion, dans ma vie professionnelle, de me familiariser avec la question des rapports entre niveaux individuels et collectifs. C’est pourquoi, bien que non mentionnés par Lestienne dans son exposé, je les reprends ici pour entrer dans le débat et les reprendre ensuite dans la discussion.

De tels modèles mettent en oeuvre des systèmes composés d'éléments ou sites disposés en réseau régulier, en 1, 2 ou 3 dimensions, et s'orientant binairement (par exemple positivement ou négativement) en fonction de leurs voisins immédiats. Ces modèles font l'objet d'une abondante littérature en physique statistique, et se prêtent en informatique à des simulations aisées à programmer. L'interaction entre un élément du réseau et ses voisins consiste en une tendance à adopter l'orientation majoritaire observée dans ce voisinage ; cette tendance est contrariée par une agitation thermique, codée par un paramètre de température, poussant au contraire à changer aléatoirement d'orientation.

Différentes variantes existent, selon le nombre de dimensions, la taille du voisinage, le forçage temporel des transitions (simultanées ou survenant indépendamment les unes des autres). Les simulations - et parfois, nous le verrons, les analyses mathématiques - montrent pour certaines de ces variantes l'existence d'une température critique : en dessous de cette température, on observe une organisation du réseau, dans laquelle de vastes régions conservent au cours du temps une orientation majoritaire stable et massive : les éléments de ces régions gardent quasi-constamment cette orientation commune. Le franchissement de la température critique provoque une transition de phase du réseau. On peut consulter pour un exposé approfondi le cours de Michel Héritier du Laboratoire de Physique des Solides de Paris-Sud

De l'individuel au collectif


Retenons donc, pour le moment, ceci : Les phénomènes émergents sont des phénomènes organisationnels s'observant dans des collectivités (ou populations) rassemblant un grand nombre de constituants élémentaires (ou individus) ; ils sont le signe de l'existence, dans ces collectivités, d'une organisation particulière. Pour chacune de ces organisations ou états organisationnels, l'attention se porte sur les points suivants :
  • leurs conditions d'apparition et de disparition, leur comportements face à différents stress,
  • les liens entre 1) ces propriétés globales et 2) la physique sous-jacente : celle des composants élémentaires des collectivités concernées et des interactions entre ces composants ; autrement dit, le lien entre le comportement global de la collectivité et  les comportements individuels
La discussion sur l’émergence se concentre sur deux questions :
  • connaissant de façon précise les comportements individuels des composants et leurs interactions, est-il possible de prévoir de façon certaine l’organisation et le comportement de la collectivité ; les instruments de cette prédiction pouvant être 1) la déduction mathématique et/ou 2) diverses expérimentations, modifiant les paramètres des composants, pour en  observer les conséquences  sur la collectivité ; et rapporter ainsi un lien univoque - autrement dit déterministe - entre le niveau individuel - comme cause - et le niveau collectif - comme effet.
  • réciproquement, connaissant l’organisation et le comportement de la collectivité, peut-on en induire les propriétés des composants. Sachant qu’à priori, rien ne s’oppose à ce que l’on aboutisse, en empruntant ce chemin inverse, à plusieurs possibilités ; une même organisation collective pouvant par exemple être générée par de nombreux modes d’interactions différents.
Une réponse entièrement positive à la première question fonde ce qu’on appelle le réductionnisme.  Dans une vision de la réalité dans laquelle les différents niveaux d’analyse forment une hiérarchie allant des plus simples (les niveaux inférieurs) aux plus complexes (les niveaux supérieurs), le réductionnisme affirme que les caractéristiques des comportements observés à un certain niveau déterminent de façon univoque celles observées au niveau immédiatement supérieur.
 
Une version plus faible de cette conviction affirme une relation plus lâche : la connaissance des comportements individuels et des lois d’interaction entre individus (le niveau inférieur) permet de prévoir une palette possible d’organisations et de comportements collectifs (le niveau supérieur) ; l’organisation et le comportement collectif effectivement observés est simplement l’une des possibilité de cette palette : l’apparition de telle organisation collective plutôt que de telle autre semble due alors au hasard, en tout cas à des facteurs inaccessibles à toute mesure.
 
Une autre version faible consiste à admettre le principe de la dépendance : les comportements du  niveau collectif sont bien en principe une conséquence de ceux du niveau individuel, mais en pratique, dans nombre de cas, cette dépendance est inexploitable : elle ne peut servir à aucune prédiction. Et chaque niveau doit être étudié en lui même.
 
Une réponse négative radicale conteste - dans certains cas - la possibilité même de caractériser les comportements individuels, indépendamment des organisations collectives dont ces individus font parti. Niveau individuel et niveau collectif apparaissent alors comme soudés dans une boucle causale, sans que l’on puisse donner la priorité à l’un d’entre eux. Cette réponse conduit à affirmer que certains phénomènes collectifs relèvent d’une émergence «forte» - selon l’expression utilisée dans le texte de Lestienne, page 9 - irréductible à la seule analyse des composants ; elle souligne en conséquence, pour de tels phénomènes, le caractère vain de toute tentative réductionniste. Le seul objectif scientifique valide est de caractériser les différents types existants d’organisation collective, de caractériser pour chacun de ces types les comportements individuels associés, et de mettre en lumière la cohérence de ces associations.

Primauté de l'individuel ?


Cette formulation de la gradation entre réductionnisme et «émergentisme» demeure imprégnée d’une vision «classique» de la physique, en ce sens que l’objet collectif reste appréhendé comme un ensemble d’objets individuels séparables et localisables. De plus, ces objets individuels sont considérés comme préexistant aux diverses organisations dont ils peuvent être partie prenante : par exemple les mêmes molécules d’eau, objets individuels, selon les conditions de température et de pression,  vont s’organiser en vapeur, en eau liquide ou en glaces.

La préexistence des objets individuels introduit une dissymétrie entre le niveau individuel et le niveau collectif, le premier apparaissant inévitablement, dans cette vision classique, comme plus fondamental. A mon sens, cette dissymétrie rend la  quatrième option (l’émergence forte) plus difficile à défendre. Mais la physique quantique, en introduisant de sérieuses réserves à la notion d’objet au niveau microscopique, apporte des éléments nouveaux. J’y reviendrai à propos des thèses de Robert B. Laughlin, cité par Lestienne.

Retour sur les modèles d'Ising.


La simplicité des modèles d’Ising, du moins dans certaines variantes, permet un traitement mathématique exact. Ce traitement, à partir d’une formalisation des interactions entre sites et de la valeur de leurs paramètres, effectue le calcul de grandeurs caractérisant organisation et comportement collectifs, savoir : existence et valeur de la température critique, corrélation entre les orientations des sites selon la distance qui les séparent, voire taille moyenne des domaines d’orientation homogène.

Rappelons brièvement comment sont caractérisées interactions individuelles et organisation collective dans Ising :
  • caractérisation des comportements individuels : l’interaction entre deux sites quelconques est associée à une grandeur, le potentiel d’interaction, grandeur qui est minimale lorsque les deux sites ont la même orientation. La probabilité pour un site, d’inverser son orientation à un instant donné, est fonction de la valeur cumulée de tous les potentiels d’interaction auxquels il est soumis, et de la température : si par exemple cette température est nulle (pas d’agitation aléatoire) et si lui-même et tous ses voisins partagent la même orientation, la probabilité de voir son orientation s’inverser est nulle.
  • caractérisation de l’organisation collective : s’agissant d’une collectivité en constante agitation (dès que la température n’est pas nulle), son organisation est caractérisée par des distributions de probabilités, résumées en pratique par les espérances mathématiques - prises à travers le temps - de certaines quantités. Parmi de telles quantités, citons 1) l’orientation moyenne par site à un instant donné ; 2) la corrélation des orientations observées au même instant sur deux sites séparés d’une distance donnée ; 3) l’énergie totale du réseau, somme des potentiels d’interactions observés sur chaque paire de site à un instant donné.

Le calcul de ces espérances mathématiques passe par celui de la distribution de probabilités de l’énergie totale, à l’aide d’une formule bien connue en physique statistique. Cette formule fait intervenir une fonction, dite fonction de répartition. Cette fonction se présente comme une somme de termes associés à chaque configuration possible du réseau, configurations qui diffèrent les unes des autres par l’orientation d’au moins un site. 


La formule exacte donnant la fonction de répartition d’Ising a pu être établie pour des réseaux linéaires et des réseaux à deux dimensions. Une fois cette formule obtenue, les grandeurs caractérisant l’organisation collective - et leur comportement en fonction de la température - se calculent très simplement. On montre ainsi, dans le cas linéaire, qu'il n’existe pas de température critique : aucune orientation privilégiée ne subsiste de façon stable, dès que la température n’est pas strictement nulle. Au contraire, dans le cas d’un réseau à deux dimensions, il existe bien une température critique et la relation, entre cette température et la force des interactions individuelles, est établie.

La simplicité des modèles d'Ising : une illusion ?


Au premier abord, les modèles d’Ising sont une illustration de la validité du réductionnisme :  propriétés d’un collectif calculables, et donc prévisibles, à partir d’une mise en équation des interactions entre membres de ce collectif.

Cette conclusion doit cependant être nuancée :
  • en premier lieu, quelques détails techniques ont été omis dans la présentation précédente. Ces détails concernent, entre autres, la taille du réseau et la nécessité de passage à la limite, lorsque cette taille devient infinie. Sont omises également les considérations relatives au nombre de voisins et à la «portée» des interactions. De tels détails ne changent pas l’architecture des calculs, mais peuvent les compliquer notablement.
  • en second lieu, plus important, la possibilité de conduire les calculs de façon exacte semble limitée : si le cas d’un réseau linéaire (1D) est simple, celui d’un réseau 2D est nettement plus complexe : à tel point, par exemple, que la démonstration d’Onsager (1944) n’est pas présentée complètement dans le cours de Michel Héritier, comme état «hors du cadre» d’un tel cours ; aucun calcul exact n’existe à ma connaissance pour des réseaux en trois dimensions ou davantage.

Lorsque de tels calculs ne sont pas possibles, ou bien lorsqu’on désire faire comprendre plus intuitivement les comportements collectifs, des raisonnements plus qualitatifs peuvent être mobilisés. Ainsi, un raisonnement qui s’appuie sur les frontières séparant les régions d'orientations différentes (Méthode de Peierls), pour un réseau 2D, aboutit à la certitude de l’existence d’une température critique, sans cependant être à même d’en donner la valeur. Le recours à des notions physiques de thermodynamique, telles que l’entropie et l’énergie libre, est également très utile.

Mais, au bout du compte, les difficultés mathématiques des calculs croissent très vite avec la complexité spatiale du réseau, et peuvent devenir insurmontables, alors même que les interactions individuelles sont très simples, que les individus sont identiques les uns aux autres et qu’ils sont disposés sur un réseau spatial régulier et rigide.

De telles constatations iraient dans le sens d’un réductionnisme faible, affirmant un déterminisme de principe du collectif par l’individuel, mais devant renoncer à exploiter ce déterminisme dans beaucoup de situations.

Robert B. Laughlin et l'Emergence.


Robert B. Laughlin est un physicien, co-lauréat du prix Nobel de physique en 1998 pour ses travaux sur l’effet Hall quantique fractionnaire. Dans son livre "un Univers Différent" paru chez Fayard en 2005  (collection «le Temps des Sciences»), il défend sa thèse affirmant les illusions et les limites du réductionnisme et, simultanément, la fécondité de la notion d’émergence pour la Recherche scientifique. Il appuie sa réflexion sur plusieurs exemples d’organisations : au sein de populations d'atomes ou de molécules, les structures cristallines, l'état super-fluide ; au sein de populations d'électrons dans les métaux, l'état de supraconductivité, ou encore l'état lié à l'effet Hall quantique.
Je suis un lecteur pour lequel ces domaines de la physique sont largement inconnus. Je pense cependant pouvoir comprendre certaines prises de position, mais pour  les adopter j’ai besoin d’un minimum de formalisation. Aussi le livre cité de Robert Laughlin souffre-t-il pour moi d’être trop littéraire et je reste sur ma faim ; bien qu’intéressé par les développements sur la nature émergente des phénomènes abordés, et interpellé par la force des convictions de l’auteur à ce propos, mes connaissances réduites en la matière me laissent «incapable d’être convaincu».

De ma lecture je retiens qu’un état émergent pour l'auteur est l’état d’un système macroscopique caractérisé par les propriétés suivantes :
  • sa «solidité», sa résistance aux modifications de son environnement, dans une large fourchette de valeurs
  • son apparition, ou sa destruction, se manifestant brusquement, comme conséquence du franchissement d’un certain seuil par un certain paramètre, telle la température. En termes physiques, la survenance d’un tel état, ou sa disparition, est une transition de phase.
  • le fait que ces propriétés, plus précisément les grandeurs et les lois caractérisant l’état, sont d’autant plus stables, ou plus exactes, que la taille physique de ce système est importante.

De telles propriétés sont bien la marque de la mise en place d’une organisation au sein du système considéré : une organisation, selon Laughlin, ne peut en effet, par nature, exister «approximativement» , elle est présente ou elle ne l’est pas. Cette organisation structure un ensemble d’éléments - les atomes dans les liquides ou les structures cristallines, les électrons dans les supra-conducteurs - lesquels éléments peuvent en l’occurrence perdre toute individualité. La dite organisation se caractérise par des symétries - celles qu’elle conserve et celles qu’elle a perdues dans la transition qui l’a fait naître - et des grandeurs comme le paramètre d’ordre. Elle résulte d’un enchevêtrement d’une multitude de processus sous-jacents, que l’on peut mettre en équations, sans que nécessairement on puisse les exploiter.

A cela s’ajoute une idée importante, celle du caractère générique des organisations émergentes. Savoir, le fait que ces organisations - et les comportements macroscopiques associés - se regroupent en grandes catégories identifiées par des structures communes et, pour ainsi dire, «trans-disciplinaires». Ces structures communes d’organisation et de comportement se retrouvent pertinentes pour décrire des phénomènes physiques différents. Laughlin souligne ainsi l’identité de structure des états super-fluides et des états de supra-conductivité, déjà mentionnés.

Un exemple : les structures cristallines


Dans le chapitre IV de son livre, chapitre intitulé Eau, Glace et Vapeur, Robert Laughlin traite des états cristallins, en particulier ceux de la glace d’eau. Les pages 61 et 62 sont une affirmation explicite de la notion d’émergence faible, vue comme l’impossibilité de prédire, de «calculer» quel état cristallin de la glace va se former à une température et sous une pression données.

La difficulté ou l’impossibilité de prédiction des structures cristallines est en effet souvent évoquée. Le cours de Sylvain Ravy  sur les structures de la matière condensée (Du potentiel à l’ordre, pages  26 à 33) présente de façon simple les composantes du problème, savoir :
  • la diversité des formes possibles des potentiels d’interaction
  • l’existence, pour un même potentiel, d’une multiplicité de structures associées à des niveaux d’énergie globale très peu différents.
  • l’accroissement de complexité «topologique», lorsque l’on passe des réseaux plans aux  réseaux à trois dimensions.
  • l’accroissement de complexité, lié au nombre et à la diversité des types d’objets individuels en jeu.
  • l’accroissement de complexité lié à la température : lorsque celle-ci n’est pas nulle, ce n’est plus l’énergie totale, mais l’énergie libre, qu’il faut minimiser ; pour ce faire, il faut  savoir calculer l’entropie des différentes configurations possibles.
  • le fait que, dans le réseau supposé mis en place, des forces autres que celles liées au potentiel d’interaction peuvent apparaître et renforcer la stabilité du réseau.

Notons à propos de ces difficultés qu'on peut certes aisément simuler, à l’aide d’un modèle Ising 2D anti-ferromagnétique (cf figure précédente), l’apparition d’une structure élémentaire de type cristallin. Mais cette facilité est trompeuse, dans la mesure où les conditions initiales - savoir la disposition des sites sur un réseau 2D régulier - présentent déjà un ordre spatial majeur. La dynamique du modèle ne fait que rajouter une symétrie complémentaire à celle déjà en place.

Un autre exemple : les populations d'électrons


Dans les chapitres VII et VIII de son livre, Robert Laughlin aborde les théories concernant le comportement des collectifs d’électrons dans les métaux. Il traite en particulier de deux découvertes majeures, dont Lestienne a parlé : l'effet Hall quantique et l'effet Josephson ; dans l'observation de ces effets, il souligne l'importance théorique et pratique de l’extrême stabilité de certaines mesures effectuées : la répétition de ces mesures, dans des conditions variées, produit en effet des valeurs très peu différentes les unes des autres et cette insensibilité s’accroit avec la taille du système où ces phénomènes sont observés ; au point que de tels systèmes servent d’étalons pour la valeur des grandeurs fondamentales auxquelles ces mesures ont été théoriquement liées : charge de l’électron et constante de Planck.

Je comprends bien que de telles stabilités et leurs comportements d’échelle puissent être la marque d’états organisationnels. Laughlin et Lestienne font de leur découverte et interprétation un point de basculement vers «l’Ere de l’Emergence» en Science. Mais quels sont les liens entre de tels états et la physique sous-jacente ? Une lecture rapide et superficielle de certains passages de textes techniques, par exemple le cours de Michel Héritier sur la supra-conductivité,  me laisse indécis : on y apprend  d'un côté (page 560) que la théorie Bardeen Cooper Schrieffer constitue bien une approche microscopique de la supra-conductivité, penchant donc vers le réductionnisme. D’autres passages du même cours affirment d'un autre côté (page 653) le caractère fortement coopératif des phénomènes ; ils soulignent  que la stabilité - l’existence même - d'éléments du collectif (les paires d’électrons de Cooper) dépend fortement de l’existence des autres paires. Se faire une opinion fondée, sur la nature des émergences en jeu, exige à mon sens de pouvoir entrer dans les formalismes quantiques concernés. 

1 commentaire:

  1. Bravo Jean-Pierre. Je me suis régalé, et je pense que je vais proposer ce lien à mes étudiants, afin qu'ils voient qu'écrire ne sert pas qu'à publier des papiers, mais aussi (et surtout) à ordonner ses pensées… Une bise du Vietnam !

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